LA CLAUSE DE NEUTRALITE

 

Les impératifs professionnels et la liberté de religion sont par nature distants de part leur exigence.

La liberté de religion est composée de la liberté de croyance et de la liberté de manifester cette croyance.

Seule la liberté de manifester sa croyance religieuse peut être limitée, dans l’univers de l’entreprise.

Le fait religieux dans l’entreprise est relativement ancien. Pour autant, les entreprises sont, désormais, confrontées à la diversité des pratiques religieuses de leurs salariés. Elles peuvent ainsi être conduites à concilier l’expression de la religion au travers des tenues, des arrangements d’horaires, des lieux de culte avec les exigences du travail.

Dans la continuité de la possibilité d’introduire une clause de neutralité, dans le règlement intérieur (loi Travail du 8 août 2016), le ministère du Travail a publié, le 26 janvier 2017, un « guide pratique du fait religieux en entreprise », afin d’aider les employeurs sur les limites possible, à l’expression du fait religieux.

La Cour de justice de l’Union Européenne est venue, par deux décisions du 14 mars 2017, encadrer la possibilité pour les entreprises d’insérer une clause de neutralité dans leur règlement intérieur (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 et C-188/15).

En réponse à deux questions préjudicielles (belge et française) qui concernaient toutes deux des salariées d’entreprises privées licenciées pour avoir refusé de retirer leur voile sur le lieu de travail, la CJUE a admis qu’une clause de neutralité qui vise indifféremment toute manifestation par le salarié de ses convictions personnelles (religieuses, politiques ou philosophiques) ne saurait s’analyser en discrimination directe. Autrement dit l’interdiction doit être générale, indifférenciée, nécessaire et répondre à un objectif légitime.

En revanche, en l’absence de règlement intérieur, la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante (permettant de déroger au principe de non-discrimination) ne couvre pas les considérations subjectives telles que la volonté de l’employeur de faire retirer le voile à une salariée afin de satisfaire aux exigences de son client.

Il appartiendra, donc, à la Cour de Cassation d’appliquer les principes dégagés par la CJUE et de rechercher s’il existe une discrimination directe ou indirecte et le cas échéant, d’examiner la clause de neutralité, prévue par le règlement intérieur.

1. CONDITIONS DE LA LICEITE DE LA CLAUSE DE NEUTRALITE INSEREE AU REGLEMENT INTERIEUR

A titre liminaire, le règlement intérieur ne peut pas prévoir de dispositions discriminant les salariés dans leur emploi, leur travail en raison de leur conviction religieuse (article L.1321-3 du Code du travail).

 La loi travail du 8 août 2016, a introduit la possibilité de prévoir une clause de neutralité dans le règlement intérieur (article 1321-2-1 du Code du travail).

 Autrement dit l’employeur peut restreindre la manifestation des convictions des salariés dans l’entreprise en respectant les deux conditions, cumulatives, suivantes :

– les restrictions doivent être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;

– elles doivent être proportionnées au but recherché.

 En pratique, la clause de neutralité peut être mise en place en raison :

– des nécessités de l’activité de l’entreprise, tant au regard du personnel (règle de sécurité, sanitaire) que des tiers intéressés (contact avec de jeunes enfants)

– d’une pratique individuelle ou collective qui porte atteinte au respect des libertés et des droits de chacun (pratiques prosélytes)

Par conséquent, en considération des dispositions législatives et de deux décisions de la CJUE, la clause de neutralité insérée dans le règlement intérieur devra satisfaire trois exigences :

– Toutes les croyances et opinions de tous les travailleurs doivent être traitées à l’identique. Autrement dit la neutralité « se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions. » (CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15). S’impose ainsi une neutralité vestimentaire, sans viser les seules convictions religieuses.

– Le principe de neutralité devra être justifié par un objectif légitime et ne pas être constitutive d’une discrimination indirecte (non justifiée)

– Par conséquent, les moyens mis en en œuvre pour réaliser cet objectif légitime devront être appropriés et nécessaires

La politique de neutralité doit être, véritablement, poursuivie de manière cohérente et systématique ; ne viser que les travailleurs en contact avec la clientèle justifiant ainsi le but poursuivi d’afficher une image de neutralité à l’égard des clients.

2. PROCEDURE POUR INSERER UNE CLAUSE DE NEUTRALITE :  

– L’employeur doit recueillir l’avis préalable du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel

– Le règlement intérieur doit être communiqué à l’inspecteur du travail avec l’avis des représentants du personnel (article L.1321-4 du code du travail)

– L’employeur doit accomplir les formalités de dépôt et de publicité auprès du greffe du conseil de prud’hommes et le porter par tout moyen à la connaissance du personnel (article R.1321-1 et R.1321-2 du code du travail)

En tout état de cause, une concertation, en amont, entre la direction, le management et les représentants du personnel, afin d’éviter tout clivage entre les salariés, est recommandée. L’objectif est de trouver des solutions sans discriminer personne. Une formation des managers à la diversité semble nécessaire.

En outre, il est également possible d’envisager le sujet du fait religieux sous l’angle non disciplinaire à travers un guide pédagogique avec des règles de conduite. En effet, l’insertion d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur n’est pas obligatoire. Bien entendu, toute disposition mise en place, sous un angle disciplinaire, doit être annexée au règlement intérieur.